À l’oubli donner des ailes

La première création de Raphaëlle Boitel a des rêves la profusion d’images fantastiques et irraisonnées. Elle en a aussi la grâce ineffable.

L’Oublié(e) infuse longtemps notre mémoire. Dans un temps bousculé, sujet aux distorsions, trois femmes remontent la courbe de leur destins à la recherche de l’homme qui fit défaut, père ou amant. Contrepoint à la nostalgie, la virtuosité de l’art circassien dont s’emparent Raphaëlle Boitel et ses comédiens offre à ces creusements du passé une vitalité folle, un envol. Envol au sens propre, au trapèze, et souvent saut de l’ange. Mais aussi corps s’affrontant, jusqu’à s’en revêtir, aux plis, au flou d’un rideau fixé très haut, comme s’il ne fallait pas le laisser choir, ce rideau, sur les limbes, sur le noir. La métamorphose en grand de ce pan de tissu en robe où se hisse le corps d’une femme dit la persistance d’une féminité, d’une relation sensuelle par-delà les disparus et les âges. C’est là un songe, une réminiscence qui surgit hors d’une boîte crânienne où comme trop longtemps elle piétinait.

Partout, sur la grande scène de la salle Charlie Parker, c’est une course folle des corps qui se croisent, se choquent, se pourchassent et semblent donner chair à l’inconscient où tant de pépites devenaient convulsives. Pas toujours facile d’y repérer une ébauche de trame. Mais autre chose nous emporte. Cette inventivité d’une écriture toute cinématographique où le phrasé des corps, si précis, est d’abord collectif. Cette ampleur, aussi, donné au motif de la mémoire, sans solennité pourtant, et sans négliger la petite histoire, le détour tendre, anecdotique… et encore moins l’humour : ainsi de cette scène d’ouverture où, à la façon d’un théâtre d’ombres et autour d’un lit d’hôpital, les proches d’un agonisant sont gagnés par des sursauts hystériques d’autant plus cocasses qu’il sont silencieux. Enfin, la manière très personnelle dont Raphaëlle Boitel s’approprie l’apesanteur laisse admiratif. Son Oubliée a de beaux jours devant elle.

Jusqu’au 12 juillet à la Grande Halle de la Villette, métro Porte de Pantin. Mardi, mercredi, vendredi, samedi à 20h30, jeudi à 19h30. Réservations : 01 40 03 75 75 et lavillette.com

Ensuite, du 18 au 20 septembre au Grand Théâtre d’Aix-en-Provence.

, par Aude Brédy