Le père se meurt accablé de tous les mots

Retour sur « Voilà ce que jamais je ne te dirai ». Publié par « Actes Sud-Papiers », ce texte est l’un des premiers de Vincent Macaigne, présent au Salon du Livre le 17 mars 2019.

Quoi qu’il approche, quoi qu’il touche, Vincent Macaigne n’a pas froid aux yeux et se jette tout entier dans ce qu’il entreprend. Né en 1978, il met lui-même en scène ses pièces, Requiem3 (première version de l’Idiot) ou encore Hamlet au moins j’aurais laissé un beau cadavre, lesquelles composent un théâtre radical et incandescent qui aura marqué le Festival d’Avignon.

Actuellement à l’affiche du dernier opus d’Olivier Assayas, Doubles vies (non encore vu), Vincent Macaigne, l’acteur cette fois, a l’art de se glisser, l’air de rien, dans des personnages lunaires, malaisés, si sensibles, qui toujours ont le courage de leur singularité. Rappelons-nous les magnifiques Un monde sans femmes ou Tonnerre, tous deux de Guillaume Brac. Ou encore, pour ne citer qu’eux, l’audacieux La Bataille de Solférino de Justine Triet, ou Les deux amis, de Vincent Garrel…

Du réalisateur Vincent Macaigne enfin, nous avons voulu découvrir le film Pour le réconfort. Y est jetée en pâture la frustration acerbe des uns, à qui rien n’a été donné, à peine un emploi sans âme, face aux « bien-nés », ainsi que les désigne la voix du réalisateur en préambule : soit un frère et une soeur qui, dotés d’un domaine depuis le temps de leurs ancêtres, ont joui de ce privilège pour voyager loin, à l’envi. Le film les surprend à leur retour sur leurs terres (Tchékhov n’est pas loin…) eux, et les autres qui toujours ont connu même décor, et dont l’animosité, bientôt la haine, s’accroît et se verbalise toujours plus. Jaillissent dès lors des dialogues dont la violence se déploie, explose et, fait rare, est totalement assumée. Pour le réconfort est un film courageux, ô combien, qui creuse en nous un malaise durable et nécessaire. De ceux que l’on a coutume d’éluder…

De courage, le texte Voilà ce que jamais je ne te dirai ne manque pas. Il est un limon sombre qui déferle en abondance et dont le désespoir sans mélange sur le monde laisse sidéré. Dès la première ligne, un homme somme son père de mourir en l’agonisant d’insultes, de mépris. Une tonalité solennelle s’en mêle étrangement : « Dis-nous ce que jamais tu ne me diras. Après tu te tueras, papa. Car tu dois bien périr un jour sous ma jeunesse. Car je dois bien vieillir moi aussi. »


Avant que d’avoir pu s’accomplir, la transmission opère comme à rebours d’elle-même, dévorée par une hantise viscérale. L’héritage moral du père est d’avance condamné, il est la nausée même du fils. Son aversion se propage d’emblée au lecteur qui, par-delà la figure du père, éprouve à son tour le rejet de tout ce qui régit les rapports humains et la marche du monde. La débâcle absolue du lien père-fils devient celle du monde ancien s’adressant au nouveau. La vision donnée par l’auteur est souvent apocalyptique, et masochiste par endroits : « N’attends rien de moi, tout ira mal, ce sera beau ». En metteur en scène aguerri singeant la télé-réalité devenue la norme outre-tombe (« Nos morts seront retransmises à la télévision et au paradis »), Vincent Macaigne peaufine son tableau de la désolation : « Il y a dehors des oiseaux et des perdrix perdues. Les hirondelles n’ont plus d’ailes enfin. Elles tombent toutes du ciel. »

Avec ce monologue d’un homme qui s’humilie de mots devant son fils, devant tous, Vincent Macaigne bâtit une esthétique de l’intolérable étouffement, d’une condamnation sans appel et totale, qui s’abat jusque dans la sphère du travail, laquelle s’y connaît en abjections : « Alors encore je courberai la tête devant le super chef des services et ma scoliose me tuera », et aussi : « Moi aussi je serai un patron séducteur qui y a droit ».

La pièce Voilà ce que jamais je ne te dirai baisse parfois la garde et c’est alors une tristesse nue qui perle : « Il fait tard d’être jeune. Il fait triste d’être seul. » Gageons que Vincent Macaigne, qui vieillira lui aussi, saura garder entière et si poreuse au monde sa colère…

, par Aude Brédy